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Actualité, Débat, Reconstruction Politique, Philosophie, Ethnologie (plantes), Economie, Handicap et Divers c'est le programme que vous aborderez chaque jour en suivant le blog ! Je suis à l'origine de la création de la revue de philosophie de METZ "Le Jardin" et participe à la rédaction de Rebelle[s], magazine bimestriel national. Je souhaite faire de ce blog, un lieu de débat. Il a pour but d'ouvrir plusieurs pistes de réflexions sur des questions politiques, ainsi que publiques qui engagent l'avenir de la société Française et Européenne. Une façon de reprendre notre destin en main pour un auteur idéaliste qui voit le monde se plaire dans le désenchantement.

Le philosophe de l'image : Gilles Deleuze

Le philosophe de l'image : Gilles Deleuze

  Biographie

 

Entre 1944 et 1948, il fait ses études de philosophie à la Sorbonne, où il rencontre Michel Butor, François Chatelet, Claude Lanzmann, Olivier Revault d'Allonnes, Michel Tournier. Ses professeurs sont Ferdinand Alquié, Georges Canguilhem, Maurice de Gandillac, Jean Hyppolite.

 

Après l'agrégation en 1948, il se consacre à l'histoire de la philosophie.

 

En 1969, il présente comme thèse principale, Différence et répétition (directeur, Maurice de Gandillac) ; et comme thèse secondaire, Spinoza et le problème de l'expression (directeur, Ferdinand Alquié).

 

La même année, c'est la rencontre avec Félix Guattari ; suivra entre eux une longue et fructueuse collaboration. C'est une de ses influences décisives, avec Spinoza, Nietzsche et Henri Bergson.

 

À l'Université de Vincennes, où il enseigna jusqu'à sa retraite universitaire en 1987, Gilles Deleuze fut, de l'avis de beaucoup, un professeur extraordinaire ; comme dans ses ouvrages d'histoire de la philosophie, il parvenait, selon ses partisans, à conjuguer la rigueur et l'érudition de l'universitaire à la plus grande imagination conceptuelle, le tout en des termes simples. Ses cours connurent un grand succès, attirant un public nombreux, international et diversifié. Grâce à sa femme, Fanny Deleuze, une partie importante de cet enseignement est disponible, transcrit à la lettre, sur le site de Richard Pinhas.

 

«Un jour, peut-être, le siècle sera deleuzien.»

 

 Tel fut le sentiment de Michel Foucault à l'égard d'un philosophe qui marqua profondément la pensée de la fin du XXe siècle. On demanda à Deleuze comment il interprétait cette phrase ; il répondit que Foucault pensait sans doute qu'il représentait l'expression la plus pure de la pensée de la différence, car il en était l'expression purement conceptuelle, c'est-à-dire ni historique (comme Michel Foucault), ni critique (comme Roland Barthes, par exemple), etc. : « il voulait sans doute dire que j'étais le plus innocent, le plus philosophe ».

 

Atteint d'une grave maladie respiratoire, Gilles Deleuze s'est suicidé le 4 novembre 1995.

 

« Ce sont [lesorganismes qui meurent, pas la vie ».

 

Il est le père de Émilie Deleuze, réalisatrice française, et de Julien Deleuze (traducteur de l'anglais).

 

Philosophie Histoire et devenir de la philosophie

 

Pour Deleuze, « la philosophie est l'art de former, d'inventer, de fabriquer des concepts » (Qu'est-ce que la philosophie ?), chose dont il ne s'est jamais privé. Il assure que la philosophie ne s'adresse pas qu'aux spécialistes, et l'on peut dire de lui ce qu'il disait de Spinoza : tout le monde est capable de le lire, et d'en tirer de grandes émotions, ou de renouveler complètement sa perception, même s'il en comprend mal les concepts. Inversement, un historien de la philosophie qui n'en comprend que les concepts n'a pas une compréhension suffisante.

 

« Il faut les deux ailes, comme disait Jaspers, ne serait-ce que pour nous emporter philosophes et non-philosophes vers une limite commune. »(Pourparlers, p. 225)

 

Dans l'Abécédaire, il raconte que ce qui lui a le plus fait plaisir, dans le courrier qu'il a reçu après la publication du Pli, ce n'étaient pas les lettres d'universitaires, mais celles d'un club d'origamistes et d'un club de surfeurs.

 

Pour le lecteur, que la lecture soit toute récente ou fort ancienne, Deleuze, c'est toujours un labyrinthe. La lecture trop fraîche le prend pour une « machine à dérouter », on le conçoit ensuite plutôt comme « machine à orienter ». C'est à la condition de disposer des segments nécessaires pour re-construire soi-même le principe de ce labyrinthe, afin de s'y orienter et d'y orienter le lecteur.

 

Clinique et politique Le premier concept proposé par Gilles Deleuze est celui du plan de consistance, qu'il rejettera ensuite au profit de celui de plan d'immanence.

 

La philosophie de Deleuze est celle d'une immanence absolue. Pas de transcendant, pas de négation, pas de manque, mais une culture de la joie, une dénonciation radicale des pouvoirs. Une philosophie de la vie et de la pure affirmation, de l'immanence, donc, comme sortie des frontières du sujet :

 

« En chacun de nous, il y a comme une ascèse, une partie dirigée contre nous-mêmes. Nous sommes des déserts, mais peuplés de tribus, de faunes et de flores. (...) Et toutes ces peuplades, toutes ces foules, n'empêchent pas le désert, qui est notre ascèse même, au contraire elles l'habitent, elles passent par lui, sur lui. (...) Le désert, l'expérimentation sur soi-même, est notre seule identité, notre chance unique pour toutes les combinaisons qui nous habitent. » (Dialogues, p. 18)

 

La philosophie de Deleuze croise ici une première fois les intérêts de Foucault, ceux pour la folie. Tous deux pensèrent en effet sérieusement à la folie et à un dialogue possible avec elle. Si Foucault le fit en la prenant comme un objet historique complexe dont il lut la genèse comme l'envers et la condition non-nécessaire de notre pensée (« la pensée de la folie n'est pas une expérience de la folie, mais de la pensée : elle ne devient folie que dans l'effondrement »), Deleuze, à son tour, dans son rapprochement avec Guattari, céda à la tentation de ces parages dans la création de ses propres concepts. Peut-être le « rhizome » est-il l'expression extrême de cela. En fait on peut y penser comme à un rayon X de la pensée du dehors, dans sa logique la plus intime, c'est-à-dire quand elle est le plus tournée vers le dehors. On trouve en elle l'ouverture d'un désert, la mobilité oubliée, la connectivité errante, la prolifération multidirectionnelle, l'absence de centre, de sujet, d'objet – une topologie et une chronologie qui sont assez hallucinatoires. En bref, on ne trouve pas la carte d'un autre monde mais plutôt l'autre cartographie possible de tous les mondes – ce qui fait précisément ce monde en être un autre, nous délivrant des chaînes de la quotidienneté.

 

« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. » (Dialogues, p.81)

 

Deleuze a sur la fin de sa vie esquissé – second croisement – le prolongement d'une idée de Foucault qui envisageait la fin des sociétés disciplinaires. Selon lui, celles-ci sont en train de laisser place aux sociétés de contrôle :

 

« Le contrôle est à court terme et à rotation rapide, mais aussi continu et illimité, tandis que la discipline était de longue durée, infinie et discontinue... L'homme n'est plus l'homme enfermé, mais l'homme endetté. » (Pourparlers, p.246)

 

Cinéma Action, réaction

 

L'analyse que Deleuze fait du Cinéma est largement basée sur l'oeuvre d'Henri Bergson: Matière et mémoire. D'un point de vue physiologique et de manière très simplifiée (mais suffisante dans le cadre présent), la perception humaine suit le schème sensori-moteur suivant :

 

des capteurs (œil, oreille...) reçoivent de l'information dans notre environnement. Ils captent l'action de l'environnement sur nous. cette information est envoyée, via des nerfs sensoriels vers le cerveau ce cerveau est capable de prendre une décision de réaction à l'environnement le signal de réaction est transmis via des nerfs moteurs vers des muscles. ces muscles réalisent effectivement la réaction. Le cerveau humain est donc fondamentalement à l'interface entre des actions reçues et des réactions émises. Il fonctionne toujours selon le principe d'action-réaction.

 

Contrairement à une idée répandue, nos perceptions ne sont pas de simples copies mentales de notre environnement. C'est-à-dire qu'elle ne se résume pas au signal envoyé par les capteurs au cerveau. C'est ce signal sensoriel traité par le cerveau afin d'envisager les réactions possibles qui constitue notre perception. La perception n'est pas l'action reçue, mais l'ensemble des réponses possibles à cette action.

 

Habitude et réflexion pure Entre l'action et la réaction, il peut s'écouler un laps de temps plus ou moins long.

 

Dans le cas extrême de l'habitude, la réaction s'enchaîne de manière quasi-instantanée avec l'action. Il ne s'agit pas de réflexe, mais lorsqu'une séquence d'action est effectuée souvent, l'enchaînement est bien connu, et peut être réalisé rapidement et sans nécessiter de concentration. Ce qui permet de gagner en efficacité, en rapidité et libère le cerveau. Un exemple typique est l'apprentissage de la conduite: d'abord éprouvante, elle devient de moins en moins pénible au fur et à mesure que les séquences de mouvements deviennent habituelles. Un autre exemple, sorte "d'effet de bord", est l'écoute d'un disque bien connu, lorsque la fin d'un morceau nous rappelle le début du suivant. La séquence est ici connue par cœur et nous anticipons l'action suivante par habitude.

 

Mais que se passe-t-il si nous activons la lecture aléatoire ? Le morceau attendu n'est pas joué, remplacé par un autre. Nous sommes perturbés. Et c'est là la limite de l'habitude: elle n'est absolument pas adaptable. Dès lors que l'on se trouve dans une situation peu courante, l'habitude est totalement inefficace. Il faut alors faire appel à sa mémoire, rechercher dans notre passé des expériences pas trop éloignées, capable de nous éclairer sur le choix à faire dans la situation présente. Il faut réfléchir, et cela prend du temps. Nécessairement, le temps entre l'action reçue et la réaction apportée s'étire. A l'extrême limite, ce temps devient infiniment long: c'est la réflexion pure. L'action ne donne plus lieu à une réaction, le schème sensori-moteur est brisé.

 

Il s'agit de deux extrêmes et le fonctionnement réel du cerveau oscille en permanence entre les deux. Le choix dépend des besoins du moment et du temps disponible. Si j'ai une décision très importante à prendre, je vais prendre le temps de réfléchir, prendre le temps d'étudier les divers arguments. C'est le temps nécessaire à la réflexion qui décide du moment de la réaction : prendre une décision censée. Mais si je suis dans mon transat' et qu'un ballon arc-en-ciel se dirige vers moi, je vais m'écarter rapidement et renverser le cocktail que je tenais à la main : la réaction est rapide mais pas optimale. Si j'avais eu le temps, j'aurais pensé au cocktail et me serais déplacé différemment. Mais voilà, je n'ai pas eu le temps, le danger était trop imminent. Le temps disponible pour la réflexion est contraint par l'urgence de l'action/réaction.

 

Image-mouvement, image-temps

 

C'est très bien tout ça, mais le cinéma alors ? C'est là qu'intervient Gilles Deleuze.

 

De la même manière que le cerveau fonctionne entre deux types extrêmes, on retrouve au cinéma deux grandes images correspondantes. D'un coté l'image-mouvement, qui repose sur le schème sensori-moteur (l'action donne lieu à une réaction.) De l'autre l'image-temps, reposant sur la réflexion pure. Dans la première image, l'action décide du temps. Un personnage sort de la pièce - cut - le même personnage est vu en extérieur sortant de chez lui et empruntant la rue. Le plan a été coupé parce que le personnage n'avait plus rien à y faire. C'est l'action (la sortie du personnage) qui arrête le plan et décide de sa durée. Le plan suivant constitue la réaction. Le temps dépend de l'action. : « L'image-mouvement […] nous présente un personnage dans une situation donnée, qui réagit à cette situation et la modifie… Situation sensori-motrice. » (Cours de G. Deleuze du 31/01/84, voir webdeleuze)

 

L'image-mouvement constitue une grosse majorité des images que nous voyons, et pas seulement des films d'actions. Un simple dispositif d'interview avec un journaliste et une personnalité, champ sur le journaliste qui pose sa question, contrechamp sur l'interviewé qui y répond, relève de l'image-mouvement pure et simple.

 

Mais prenons maintenant le plan suivant : Un père part pêcher avec son fils qu'il n'a pas vu depuis longtemps. Ils s'installent sur les berges. Le contact est difficile, ils ne disent rien, ils regardent à l'horizon. Ca dure un certain temps, nettement plus long que le temps nécessaire au spectateur pour comprendre simplement qu'ils pêchent. Cut. Le plan suivant n'a rien à voir. Par exemple, la mère emmène le fils en voiture à la ville. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre les deux plans. On ne saurait pas dire si cela se passe avant ou deux heures plus tard ou le mois suivant. Le fait d'aller pêcher n'a donné lieu à aucune réaction, et si le plan avait duré plus longtemps il ne se serait rien passé de nouveau. La durée du plan n'est plus décidée par l'action, le temps est indépendant de l'action. On ne connaît pas le résultat de la pêche et ça n'a aucune importance. Ce plan fait partie de ce que Gilles Deleuze appelle : « une situation optique et sonore pure. » Ce qu'on retrouve dans le « film ballade. » Pensez à Minuit dans le jardin du bien et du Mal de Clint Eastwood, Dead Man de Jim Jarmush par exemple.

 

Historiquement, le cinéma a commencé par utiliser essentiellement cette image-mouvement. Elle est associée à la logique, à la rationalité. Lors d'un champ-contrechamp entre deux personnages qui se parlent, on n'a pas le choix du moment des coupes : elles suivent les interventions des personnages. A toute question, on attend une réponse cohérente. On attend, c'est-à-dire que l'on se retrouve dans le cadre de l'habitude, on anticipe non pas forcément le contenu de la réponse, mais au moins qu'une réponse va être donnée et on sait par avance qu'elle surviendra à la fin de la question.

 

Gilles Deleuze situe l'arrivée de l'image-temps après la seconde guerre mondiale : on ne croît plus à ce principe d'action-réaction. La guerre est une action complexe qui nous dépasse, il n'est pas possible de réagir, de modifier la situation, de la rendre claire. D'où l'apparition de l'image-temps avec le Néo-réalisme italien, puis la nouvelle vague française, et la remise en cause du cinéma hollywoodien aux Etats-Unis. Les Héros de Federico Fellini (Dolce Vita) ou de Luchino Visconti (Mort à Venise) sont désenchantés, ils refusent d'agir, de choisir.

 

Tout comme le cerveau oscille entre habitude et réflexion, il est bien sûr possible de mélanger les deux images. Reprenons notre homme qui sort de chez lui. L'image mouvement voudrait que le cut survienne quand il passe la porte. Maintenant, la caméra s'attarde une, peut-être deux secondes dans la pièce vide, puis cut, et plan extérieur. L'image-mouvement est pervertie : il y a bien action et réaction, mais le temps ne correspond pas, créant un sentiment de gène : pourquoi la caméra s'attarde-t-elle dans cette pièce vide ou il ne se passe plus rien ? Ou alors il y a action et réaction mais la réaction n'est pas logique. Pensez à Lost Highway de David Lynch par exemple. On n'y compte plus les plans “trop long”, les espaces sombres et vides, les réponses improbables, les absences de réponses…

 

 Citations

 

« Mais la culture est le mouvement d'apprendre, l'aventure de l'involontaire, enchaînant une sensibilité, une mémoire, puis une pensée, avec toutes les violences et cruautés nécessaires, disait Nietzsche, justement pour dresser un peuple de penseurs, "donner un dressage à l'esprit". » (Différence et répétition)

 

« Nous avons besoin d'une éthique ou d'une foi, ce qui fait rire les idiots; ce n'est pas un besoin de croire à autre chose, mais un besoin de croire à ce monde-ci, dont les idiots font partie » (L'image-temps)

 

Cinéma : l'image-mouvement et l'image-temps

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